Maisons mobiles

 

maisons moveesEn équilibre sur la remorque d’un camion, une maison de colonisation typique du Plan Vautrin.

L’image est tirée du film de Pierre Perrault, Un royaume vous attend.

Ce documentaire tourné en 1975 donne la parole à Hauris Lalancette, un cultivateur de Rochebaucourt impliqué dans le mouvement des paroisses marginales. Dans les années 70, les habitants de plusieurs villages de l’Abitibi-Témiscamingue désertent massivement des rangs peu fertiles : soit ils partent travailler sur les chantiers de la Baie James, soit, poussés par les politiques gouvernementales à se rapprocher des centres urbains, ils font mover leurs maisons.

Tandis que les cultivateurs « résistants » s’échinent sur de mauvaises terres, des terres arables sont utilisées pour planter des arbres. En contrepoint, l’image d’un vieil homme défrichant à la main une de ses terres fait surgir le souvenir des colons qui, une génération plus tôt, sont venus « faire de la terre ».

La circulation des maisons rythme le film de Perrault, qui met en regard différents points de vue sur le territoire abitibien : d’un côté, un discours bureaucratique qui définit le territoire en fonction de considérations économiques, de l’autre, la parole de ceux qui se battent pour habiter ce pays que leurs parents ont défriché.

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déménagement MalarticLe film L’or des autres, de Simon Plouffe, donne à voir un autre bal de maison movées.

Le contexte est tout autre. En 2008, l’exploitation du projet Osisko a entraîné le déménagement d’un quartier entier de la ville de Malartic.

À la lecture du livre d’Alexandre Faucher, De l’or…et des putes?, on comprend que ce déménagement peut être perçu comme un prolongement paradoxal des hésitations politiques entourant la naissance de la ville de Malartic et du squatt de Roc d’Or, lors de la découverte du gisement  de Fournière.

Le squatt de Roc d’Or fut détruit en 1943. La réorganisation urbaine qui en découla privilégia la ville de Malartic.

Soixante-dix ans plus tard, la reprise de l’exploitation aurifère, cette fois sur le mode de la mine à ciel ouvert, eut pour effet de déplacer les résidents du quartier sud de la ville, un quartier situé au-dessus du gisement aurifère et précisément développé à la suite de la fermeture de Roc d’Or.

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Ces images sont issues de contextes fort différents mais elles témoignent toutes deux d’un espace géographique où, bon gré mal gré, les rêves sédentaires se mettent à nomadiser.

À la croisée de l’initiative personnelle et des choix politiques d’occupation du territoire, ces maisons « mobiles » parcourent un territoire qui se reconfigure le temps d’une ou deux générations. L’imaginaire du « front pionnier » resurgit alors, l’ « ouverture du pays » se voyant réévaluée quelques décennies plus tard.

On se saurait dire si ce sont les maisons qui bougent, ou le territoire qui glisse sous elles. Comme si l’ancrage en un point de la carte était aléatoire, rendant caduque toute métaphore d’enracinement. Comme si le rapport au territoire était lui-même mouvant.

Dans un article paru dans l’ouvrage collectif Territoires, Christian Morissonneau défend l’idée d’une territorialité québécoise caractérisée par la mobilité, particulièrement dans le cas des fronts pionniers de colonisation, dont il analyse les mouvements de population entre le 19e et le 20siècle : « Le lieu par excellence où le Québécois s’est fixé n’est pas un point dans l’espace. On a trop écrit sur la paroisse. Le véritable lieu de la durée est plus temporel que spatial : c’est la famille. (…) C’est elle qui constitue le véritable réseau de migration, intégrant l’individu où qu’il aille, invitation à partir sans dépaysement trop grand, car on demeure en famille, c’est-à-dire entre soi, même chez les autres…C’est elle qui constitue le véritable petit pays, le pays mobile, celui qui fonde la solidarité et nie la géographie. »

L’analyse présente l’intérêt de faire apparaître une territorialité québécoise de passage, la mobilité se comprenant dans un cadre mobile-sédentaire où la famille reste une référence identitaire stable.

Cette interprétation donne aussi une autre dimension aux maisons movées, qui incarnent de manière saisissante cette « sédentarité mobile ». Au-delà du contexte des déménagements, les trajectoires des maisons de Rochebaucourt et de Malartic se chargent d’une histoire culturelle. Elles s’inscrivent dans un espace-temps où les êtres sont mobiles et les terres mouvantes.

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Ces maisons lancées sur les routes emportent avec elles de nombreuses histoires.

On se prend à imaginer la vie de leurs propriétaires, les conditions dans lesquelles s’est prise la décision de partir, les deuils, les nouveaux espoirs…

Une galerie de personnages apparaît : ceux qui partent, ceux qui regrettent d’être partis, ceux qui s’accrochent à leur maison et à leur lutte. Il y a aussi les déménageurs de maisons.

Mais ces maisons ne racontent pas que des histoires de famille.

Elles disent aussi une histoire collective dont on ne sait si elle se répète ou si elle bégaie, une histoire qui se corrige et se réécrit le temps d’une vie humaine.

Références:
Faucher, Alexandre, De l’or… et des putes?, collections Mémoires vives, Éditions du Quartz, 2014.
Morissonneau, Christian, « Les territorialités de passage, le village mobile et les terres mouvantes », in Territoires (sous la direction de Laurie Turgeon), p.143-153,  PUL, 2009.
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